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Voyager, partir




Écolier, j’étais le king des maths, guerrier solitaire retranché dans son cockpit, aucune équation ne me résistait. Entre deux joints, au moment où passait une bande de joyeux gitans, la porte s’est ouverte et je me suis agrippé à leur danse échevelée; même raide, maladroit, ridicule, je vivais !


Fuck Poly et son génie, vive le Vieux et ses sciences humaines. Mais le Vieux n’a pas fait long feu, j'ai vite fermé les livres et pris le large. Après un passage en campagne, la Mère-Patrie m’a tendu ses seins gonflés de gros rouge. Les yeux drette devant, le feu derrière, je fonçais avec un seul tabou : fixer le rétroviseur. Mais comme partir, c’est aussi fuir, fuir en trainant ses casseroles, tôt ou tard la puanteur du tas de merde laissé derrière se fait sentir.


À l’étranger, loin de mon nid, je suis nu, sans toit, ni auto, travail, statut social, rien, sauf peut-être comme dernier haillon, mon ethnie canadienne-française. Cousin lointain de Jack Kerouac, ses écrits tracent ma voie. Il a sillonné le continent en quête du sauvage tapi en lui. Je dois tenir serré les cordeaux pour que mon indompté ne me fasse pas déraper et m’embourbe dans les marécages du désespoir et de l’alcool qui l’ont englouti à 47 ans. La route peut éclairer, guérir, mais elle peut aussi rendre fou, désespéré.


À cheval entre la folie et la lumière, je galope sur ces terres inconnues à la recherche du graal. Propulsé par la rencontre des personnes, tel une sonde spatiale, je gravite un temps autour d’eux, puis leur force d’attraction me projette encore plus loin dans la stratosphère. Je pérégrine les yeux grands ouverts et parfois surgit la rencontre ultime : la femme tendant sa pomme du bout de ses bras invitants. Pomme rouge, pas encore mûre, croquante, dans laquelle je mords avec frénésie, faisant gicler son jus suret. Le nirvana m’accueille, me berce quelques temps. Mais immanquablement mon blues originel revient, bourdonne; ce ver d’oreille perfide se faufile, reprend sa place au fond mes tripes et me ramène au fond de ma coquille. La rencontre, comme la route, me distrait, me perd et glisse sur ma peau de canard; mais parfois, elle percole dans mon âme, me transforme et me guide dans ma quête.

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